Beb-deum, génial inventeur de mondes
Rencontre avec Beb-deum, illustrateur, graphiste, artiste de grand talent, à l’occasion de l’exposition inspirée du livre Mondiale™ visible jusqu’au 9 mars 2018 à l’Apostrophe – Théâtre des Louvrais, à Pontoise.
Quel est votre parcours ?
Après l’École supérieure des arts appliqués Duperré à Paris, j’ai fait mes premières armes chez Métal Hurlant en tant qu’auteur de bandes dessinées. J’ai été édité aux Humanoïdes Associés et travaillé en parallèle pour la presse, l’édition et la publicité, en qualité d’illustrateur. Parmi mes projets personnels, on peut citer PK12, voyages en Centrafrique, aux Éditions du Rouergue et Face Box, monographie aux éditions Delcourt. Mondiale™ est ma dernière publication aux Impressions nouvelles.
Vous avez été parmi les premiers a utiliser l’ordinateur comme medium de création. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet art numérique que vous maîtrisez si bien ?
Des pinceaux, feutres ou crayons, je suis passé progressivement à la palette numérique qui a libéré ma créativité car, soucieux du détail, les techniques traditionnelles me prenaient un temps infini. Ce virage m’a ouvert de formidables univers virtuels, où je peux travailler à mon gré la lumière, la couleur, la transparence, le mélange. En quelque sorte, les évolutions technologiques ont transcendé mon imaginaire. Ainsi, j’ai mis cette technique au service du fond, car cet outil d’hybridation convient parfaitement à mon sujet.
Justement, quel est votre sujet ?
L’individu confronté à la globalisation, le corps-marchandise à l’ère du posthumain. Pour traiter de ces problématiques, j’allie l’idée de métissage à la mondialisation. En effet, le métis devient un élément marketing. Regardez les couvertures de magazine ! Ce concept heureux de métissage – symbole d’un universalisme utopique – est hélas dévoyé par la globalisation que l’on subit.
Votre dernier ouvrage vient de donner lieu à plusieurs expositions. De quoi s’agit-il ?
Ce projet, sur lequel je travaille depuis plus de dix ans et qui a inspiré un récit fictionné à Alain Damasio, auteur de science-fiction et Grand Prix de l’Imaginaire, a été publié aux Impressions nouvelles. Mondiale™ se présente donc comme un catalogue de vente d’êtres humains, tel que l’hypercapitalisme va certainement en produire, avec la parole de ces futurs « clownes » – esclaves parfois affranchis, clones fugitifs, rebelles à leur docilité programmée – et qui pensent. Des clones rebelles, en fait.
D’où le titre ?
« TM », pour Trade Mark, est en effet une marque déposée d’un produit commercial. En fait, Mondiale, c’est la femme issue du métissage qui synthétise et symbolise le monde lui-même, c’est-à-dire un produit marchand. Et elle est vendue par une multinationale omnipotente.
Ce catalogue vient-il tout droit du futur ?
Je ne cultive pas un goût particulier pour l’anticipation. J’observe juste le monde. Je suis inspiré par l’actualité. Dernièrement, j’ai réalisé une couverture du Nouvel Observateur sur le transhumanisme. Sans être scientifique, je m’intéresse aux manipulations génétiques. Nous sommes tous aveuglés par le soleil et… les écrans. Mais avec le recul, malgré l’outrance de mes représentations, j’ai l’impression d’être réaliste.
Pourquoi ces éléments calligraphiques sur ces corps robotisés ? Cela signifie-t-il que l’on est toujours rattrapé par le passé ?
Ces résurgences du passé sont des signes identitaires qui participent au salut de ces mutants. À force de se projeter, on va droit dans le mur, c’est sûr ! J’ai aussi beaucoup été influencé par mes voyages et résidences au Japon, une culture qui me marque profondément.
Mondiale™ est-il un livre politique ?
Attiré depuis toujours par les mondes imaginaires, mon malaise existentiel est le moteur de ma création. Notre salut ne viendrait que par davantage de croissance et de consumérisme ? Or, le monde se réduit à néant avec cette dévoration de l’humain. S’agit d’une mort programmée ? Je suis finalement plus pessimiste que Damasio, car lui considère que l’espoir vient de la révolte : faire un pas de côté, s’opposer, se rebeller. Oser dire non, quitte à ne pas être dans la légalité. En revanche, mon travail ne délivre pas de message politique de façon explicite. Ma démarche est avant tout artistique.
Vous avez participé à plusieurs expositions dont Mythiq 27, à l’Espace Pierre Cardin et d’autres, à l’étranger (Maison de l’Image, à Bruxelles, Pop Austin International Art Show, à Austin – USA). Concernant vos dernières productions, après la Maison d’Ailleurs (musée de la science-fiction, de l’utopie et des voyages extraordinaires à Yverdon-les-Bains, en Suisse), la Maison Populaire, à Montreuil, vous voilà à L’apostrophe – Théâtre des Louvrais, à Pontoise. Pourquoi une exposition ?
Le projet s’y prête bien car l’exposition permet de prolonger ce « récit d’art fictionné » par une présentation de tirages numériques de grand format et de diffusion sur écrans vidéo.
Comment pensez-vous faire évoluer ce projet graphique décliné aujourd’hui en livre d’art et en expositions ?
Je travaille actuellement sur des projets multimédia : j’aborde l’animation de l’humain de manière expérimentale, notamment la réalité augmentée. L’immersion 3D m’intéresse. Je poursuis donc mes recherches, entre conceptuel et narration.
Propos recueillis par Sarah Meneghello
Lire le compte-rendu de l’exposition ici.
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